Bois et maxi-brique à Bagneux
©Cyrille Weiner

Publié le 13/11/2025

Matériaux biosourcés : innover pour une construction durable et écologique

Matériaux biosourcés, un retour aux sources qui réinvente la construction durable

Le secteur du bâtiment connaît depuis plusieurs années de profondes mutations.
Les professionnels doivent répondre à la demande croissante de logements tout en maîtrisant les coûts, dans un contexte marqué par la volatilité des prix des matières premières et la dépendance aux approvisionnements internationaux.
À ces défis économiques et sociaux s'ajoute l'urgence environnementale : responsable de plus de 20 % des émissions de CO2 en France, le secteur doit réduire drastiquement son empreinte carbone.
Dans ce contexte, la réglementation environnementale 2020 (RE2020) agit comme un levier d’innovation incitant les acteurs du secteur à repenser leurs pratiques et à explorer de nouvelles voies, en renouant parfois avec des savoir-faire ancestraux.
Pour construire l'habitat de demain, de nombreux professionnels se tournent ainsi vers des matériaux d'hier : paille, chanvre, terre crue, pierre... Soutenus par des innovations techniques, ces matériaux traditionnels s’imposent désormais comme des piliers de la construction durable.

 

La renaissance des matériaux biosourcés

« Les matériaux biosourcés, issus de fibres végétales ou animales, font aujourd’hui l’objet de multiples usages dans le bâtiment : charpentes, structures, façades, planchers, revêtements de sol, poutres ou encore menuiserie, explique Philippe Léonardon, ingénieur au service du bâtiment à l'ADEME. Certaines ressources, telles que la fibre de bois ou le chanvre sont, quant à elles, utilisées quasiment exclusivement pour de l’isolation ».

De nombreux matériaux ont ainsi été redécouverts durant les dernières années : la paille pour l'isolation thermique, le chanvre sous ses multiples formes (laine isolante, béton, mortiers), la terre crue avec des techniques de pisé et torchis revisitées, le bois qui s'impose dans les systèmes constructifs hybrides ou encore la pierre de taille qui séduit à nouveau pour son inertie thermique exceptionnelle. Chacun de ces usages s'inscrit dans une logique de réappropriation de solutions éprouvées, temporairement écartées par l'industrialisation massive et l’usage du béton durant les décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale. Parallèlement, de nouveaux matériaux viennent enrichir le paysage de la construction durable. C’est le cas des bétons ultra bas carbone, qui permettent de diminuer - voire de supprimer - le ciment traditionnel au profit d'argile verte par exemple.

Chez 3F, cette évolution se concrétise par exemple à travers l’utilisation du chanvre, une plante aux multiples vertus, dont la France est l’un des principaux producteurs mondiaux. En 2021, un premier immeuble de huit étages en béton de chanvre a été livré à Boulogne-Billancourt. Depuis, une dizaine d’opérations ont été livrées ou sont en cours, illustrant l’essor et l’appropriation progressive de ce matériau innovant, utilisé en complément des structures traditionnelles en béton.

À Paris, c'est le liège qui a retenu l'attention d'Immobilière 3F lors de la réhabilitation d'un immeuble du 16ème arrondissement. Produit à partir de l'écorce du chêne-liège, qui se renouvelle tous les 9 à 12 ans sans abattage, ce matériau affiche un bilan carbone négatif et se révèle imputrescible, ininflammable et résistant aux insectes. Léger et facile à mettre en œuvre, le liège s'avère particulièrement adapté à la rénovation du patrimoine ancien grâce à sa respirabilité qui préserve les maçonneries traditionnelles.

En Normandie, l’usage de la paille pour isoler les bâtiments se développe fortement. Elisabeth Picot Le Lanchon, cheffe de projet chez 3F Normanvie, témoigne : « cantonnée pendant plusieurs décennies à de l’auto-construction, la paille a fait son retour, avec les nouveaux objectifs de la réglementation en faveur de l’environnement ». De fait, une grande quantité de paille est disponible localement. Plus de 200 000 tonnes par an non utilisées par l’agriculture permettraient d'isoler l'intégralité des constructions neuves normandes[1]. En plein essor, l’usage bénéficie de nombreuses innovations techniques. A la clé : « des performances comparables à des bâtiments de haute performance thermique type bâtiment passif et des économies de chauffage substantielles pour les locataires ». 3F Normanvie mobilise notamment cette expertise au sein de 43 logements à Bretteville-sur-Laize et 17 logements individuels à Bacqueville-en-Caux.

[1] Moyenne sur 4 ans de 2018 à 2021. Source : Chambre d'agriculture de Normandie.

 

L'humain au cœur de la transformation technique

Mais le défi n’est pas seulement technique. De telles pratiques impliquent avant tout une transformation profonde des méthodes de travail et de formation des professionnels. Pierre Etchegoyhen, responsable du pôle construction durable à la direction de l’architecture et du développement durable d’Immobilière 3F, prône une approche progressive et collaborative : « la transformation que nous devons mener n’est pas une rupture, mais une ré interrogation de nos pratiques au cas par cas. Il nous faut réfléchir à nos méthodes, à la manière de collaborer dans un projet avec toutes les filières pour les intégrer à la réflexion et faire rencontrer nos enjeux ».

Jusqu'à récemment, les matériaux biosourcés étaient principalement portés par des initiatives artisanales : petites structures, filières encore peu organisées, multiplicité d'intermédiaires, faibles volumes de production. « Notre rôle, chez 3F, en tant que maître d'ouvrage, est d’accompagner la structuration de ces filières », affirme Pierre Etchegoyhen. Cette mission passe notamment par une collaboration inédite et un engagement [PE1] entre grands maîtres d'ouvrage - 3F, CDC, Société des grands projets, Grand Paris Aménagement, etc.- pour donner visibilité et perspectives d'investissement aux entreprises.

Dans la même logique, la formation représente un autre pilier de cette transformation. 3F va prochainement proposer une formation spécifique pour ses chefs de projet, centrés sur la construction hors-site et l'intégration des nouveaux matériaux. Cette initiative s’accompagnera, sur le plan opérationnel, de la mise en place d’une nouvelle génération de référencements intégrant ces exigences, ainsi que d’un système d’acquisition dynamique permettant d’identifier et de sélectionner les partenaires les plus performants.

 

L'équation économique : repenser l'investissement à long terme

Quid de l’aspect financier ? Philippe Léonardon, de l’ADEME, l'admet sans détour : « l’usage de matériaux biosourcés engendre effectivement un léger surcoût immédiat », généralement estimé entre 10 et 30 % selon les applications. Une différence qui s'explique principalement par des volumes encore insuffisants et des filières en cours de structuration.

Mais, chacun des experts interrogés le souligne : l’usage des matériaux biosourcés doit s’envisager dans une perspective plus large. Philippe Léonardon insiste ainsi sur la dimension renouvelable des matériaux souvent associée à une production locale – une proximité géographique synonyme de réduction des coûts de transport et de renforcement de l'indépendance dans un contexte d’incertitudes internationales. Par ailleurs, les performances exceptionnelles des matériaux peuvent compenser le surcoût initial, à l’image de la paille qui offre un déphasage thermique de plus de 12 heures (contre 6 heures pour les isolants conventionnels), garantissant un confort optimal en été comme en hiver. De telles performances ouvrent des perspectives révolutionnaires : des bâtiments fonctionnant uniquement avec une VMC double flux, sans système de chauffage traditionnel.

 

Une construction réinventée

Pour répondre aux enjeux contemporains, le secteur intègre désormais ces filières aux côtés de systèmes de construction plus conventionnels. Cette dynamique est déjà bien engagée chez 3F, comme le souligne Pierre Etchegoyhen : « Plus de 50 % des opérations 3F en maîtrise d’ouvrage directe intègrent aujourd’hui de nouveaux matériaux ou de nouvelles méthodes de construction. À titre d’exemple, les façades à ossatures bois sont passées d’environ 10 % avant 2020 à près de 50 % en 2024 sur ces opérations. »

En conciliant performance technique et ancrage territorial, industrialisation raisonnée et valorisation des savoir-faire locaux, cette approche ouvre une nouvelle voie. Portée par des acteurs engagés, elle façonne une construction durable à tous les niveaux : économiquement efficiente, écologiquement exemplaire et socialement responsable.